mardi 27 mai 2008

Mon premier Chanoyu

En relisant Les Arts de la Cérémonie du Thé (ouvrage collectif paru en 1996 aux Editions Faton) et mes archives de l’époque sur le thé, j’ai retrouvé un texte que j'ai écrit vers 1997 ou 1998, au début de ma découverte de ce monde fascinant que je n’ai plus quitté depuis. Je vous le livre ici tel que rédigé alors, à l’époque où j’ignorais encore tout de la culture du thé. Je n’avais pas encore les clefs pour décoder ce que je voyais, ce qui explique certaines remarques assez saugrenues. Heureusement depuis j’ai essayé d’en savoir plus, j’ai d’ailleurs dû acheter ce magnifique ouvrage juste après avoir assisté à cette cérémonie. Je vous le recommande vraiment si vous voulez en savoir plus sur les objets du thé, véritable patrimoine au Japon, sur les pavillons de thé, ces lieux de culte réservés au thé, les liens avec la philosophie Zen et ses implications dans l’art contemporain. Il est de plus remarquablement illustré. La photo ci-dessous en est extraite.
Voici donc ce que j'écrivais à l'époque:

Dans un cadre fameux, le musée du thé de Mariage Frères, rue du Bourg-Tibourg, s'est déroulée cette cérémonie si particulière que de l'évoquer me plonge dans un état tout à fait curieux, difficile à définir.
Sur le sol, deux tatamis: un pour les hôtes et l'autre sur lequel se trouve la maîtresse de la cérémonie, en costume traditionnel: un kimono rouge brodé d’or du plus bel effet et si anachronique, entourée d'ustensiles nombreux, étranges et raffinés.
Deux personnes et moi sommes invitées à nous mettre à genou sur ledit "tatami".
L'hôtesse commence alors à déplier un linge blanc, nous dirions un mouchoir ou une petite serviette, sorti avec infiniment de précaution et … d’extrême lenteur, de la large ceinture rouge de son superbe kimono. Une lenteur véritablement inimaginable ! Un film tourné au ralenti va dix fois plus vite que ce que je voyais ici !
Je trouvais l'atmosphère pesante: ce silence monacal, presque lourd, ces gestes si précautionneux, mais surtout si lents, ainsi que l'inconfort de ma position m'énervaient et me faisaient déjà regretter d'être montée à cet étage trop austère tout à coup au lieu de rester dans la chaude ambiance si délicatement parfumée du rez-de-chaussée.
J'étais plutôt mal à l'aise, des sentiments hostiles m’envahissaient, une envie folle de la secouer m'habitait, j'enviais Xavier, confortablement installé dans un fauteuil, ayant décliné avec son sourire enjôleur cette invitation piège et moi, les genoux endoloris, me demandant vraiment ce qui m'avait pris, prête à maudire cette curiosité si mal récompensée.
Je pensais à la guerre dans le Pacifique, à la rivière Kwaï, un cadre magnifique pourtant, à ces immenses cimetières de Kanchanabury- que j’ai visités les larmes aux yeux en découvrant l’âge des soldats-, au train de la mort, à la reconstitution d'un de ces "baraquements" dont je me suis enfuie après avoir parcouru 2 mètres à peine, prise de nausée (je "sentais" l’odeur des prisonniers, j’ "entendais" leurs cris de souffrance et de désespoir!) , Je pensais à la cruauté des "Japs" et là, je maudissais réellement ma curiosité: le Japon ne m'a jamais attirée, ne m'attire pas et ce n'est pas à la vue de ceci qu'il risquera un jour de me faire changer d'avis. Où est le vrai Japon ? Qui est-il ? De quoi sont faits des gens capables d’un tel raffinement dans les deux sens ?

Puis, très bizarrement et d'un seul coup, toute cette agitation intérieure a disparu, l'ambiance m'a submergée, le timbre de sa voix aux paroles incompréhensibles, ses gestes, toujours aussi lents mais de plus en plus prenants, m'ont envoûtée, et j'ai participé complètement à cette cérémonie si mal commencée.
Après avoir essuyé un bol, qui n'en avait manifestement aucun besoin, elle y a versé de l'eau chaude extraite d'une marmite magnifique, en bronze, posée sur un brasero aux proportions très élégantes.
Tout aussi lentement, elle a essuyé à nouveau le bol après en avoir vidé le contenu.
Tout cela entrecoupé de saluts à chacune de nous en particulier, ce qui nous donnait l'impression que la cérémonie l'était uniquement pour nous, c'était à vrai dire une très curieuse impression. J’étais vraiment comme subjuguée, tétanisée même.
Elle s'est alors munie d'une longue spatule très fine avec laquelle elle a prélevé le thé d'une boîte de laque noire. La couleur et la texture étaient tout à fait surprenantes: d'un vert criard et pratiquement de la poudre….
Après l'avoir déposé, toujours aussi précautionneusement, dans le bol, elle y a versé de l'eau frémissante et l'a mélangé, battu même, avec un curieux objet, un genre de fouet, qui semblait fait de bambou.
Elle me l'a alors présenté, le faisant précéder de la dégustation d'une sorte de bonbon en forme de fleur, positivement immangeable (pour nos rudes papilles occidentales, en tout cas ).
Le breuvage était, lui aussi, tout à fait surprenant, très épais d'abord, ne ressemblant en rien à du thé tel qu'on le connaît. Je dois avouer, au risque de passer pour une iconoclaste, que cela m'a fait penser, en le voyant, à de la soupe en sachet sur laquelle on n'aurait pas versé assez d'eau tant ce breuvage restait "collé" à la muqueuse du palais!
Le goût, quant à lui, était encore plus bizarre: l'épinard, c'est à l'épinard que son goût s'apparentait pour moi….
Après nous avoir une fois de plus saluées, elle a commencé à ranger ses récipients, toujours avec cette même lenteur, me laissant véritablement sur une impression étrange… mais cependant complètement détendue.
Je ne suis certainement pas encore prête à adhérer au way of life nippon mais comme lavage de cerveau, cette cérémonie est plus qu'intéressante….
C'était il y a longtemps, au temps de l'ignorance, j'ai progressé depuis.... Je mesure aujourd'hui le chemin parcouru.

1 commentaire:

Benead a dit…

C'est ce que j'ai entendu dire, c'est tériblement long mais très intéressant. A faire uen fois mais vraiment qu'une seule fois quoi ;)

Tu le conseillerais? Eventuellement tu connais des adresses en Belgique où on peut le faire?