lundi 20 août 2012

Une merveilleuse relecture

Hier, un très ancien élève m’a téléphoné pour m’inviter à fêter avec sa famille la fin du Ramaddan, j’ai refusé à regret mais c’était dehors et mon muscle ne supporte plus cette chaleur…
Alors pour être en communion avec lui, j’ai infusé un thé à la menthe et ressorti L’art du thé au Maroc. En savourant ce thé que je ne sucre pas, j’ai vu défiler certains de mes étudiants musulmans devenus instits, ils m’ont marquée par la faculté qu’ils ont eue d’intégrer 2 cultures en profondeur mais aussi et surtout par la vision qu’ils avaient de leur rôle auprès des enfants de leurs communautés marocaine, algérienne, tunisienne et turque. Je ne sais pas qui a le plus appris de l’autre… Je pense par extension à cette communauté musulmane, celle des vrais croyants, vivant leur foi de manière authentique et discrète à des années-lumière de ces imposteurs qui leur font du tort.
Et tout en réfléchissant à cela, je me rappelle la voix envoûtante de Taos Amrouche. Elle a fait revivre des chants ancestraux qu’elle tenait de sa mère dont la devise était : "Mieux vaut une vérité qui fait mal qu’un mensonge qui fait plaisir.".
 Voilà ce qu’elle en dit : "Pour ma part, ayant baigné depuis l’enfance dans le merveilleux climat de ces chants et de ces poèmes traditionnels, le miracle était que je puisse prendre assez de recul pour en découvrir toute la force magique et la beauté :c’est la grâce qui me fut accordée et qui me permit de recueillir des lèvres de ma mère, avec la docilité totale et le respect de l’élève en face du maître, ces chants dont la lumières chemine vers nous depuis des millénaires." Je ne comprends évidemment rien aux paroles mais elles me touchent au fond de l’âme, je ne sais pourquoi, peut-être cette mélancolie que je sens derrière ces psalmodies. Aurais-je été berbère dans une autre vie ?
Ou Kabyle ? Je ressens ce que je ne comprends pas par les paroles, je suis allée dans cette montagne de Kabylie appelée Djurdjura aux paysages à couper le souffle. Il est temps de pour moi de parcourir cette mine d’or. Le premier chapitre est consacré aux Origine, culture et marché du thé. Ce chapitre reprend les thèmes habituels sauf un qui parle des dynasties du thé : Lipton, Twining, Mariage Frères, Damman Frères et la famille Jumeau-Lafond.
"La dégustation des experts est un moment crucial de la sélection des thés. Ici le plus grand expert de son époque, Jean-Jumeau-Lafond (à droite), déguste en compagnie de son fils et successeur Jacques-Jumeau-Lafond dans le laboratoire de la société R. & P. Damman Frères." Si j’ai choisi cette photo, c’est que je trouve touchant cette idée de la transmission d’un père à un fils, comme un « learning by doing », moments privilégiés de complicité. Il manque la dynastie George Cannon, dommage et peut-être que bientôt d’autre(s) viendront s’y ajouter...  (= message codé). Le chapitre suivant aborde Le thé au Maroc. " Le thé fut introduit pour la première fois au Maroc à la cour de l'empereur Maoulay Ismail (1672-1727), qui détenait soixante-neuf prisonniers de guerre britanniques et refusait de les libérer. On rapporte que la reine Anne d'Angleterre (1665-1714) estima que "deux grande fontaines à thé et un peu de thé de bonne qualité" seraient ce qui pourrait adoucir le cœur de l'empereur du Maroc." On y apprend aussi pourquoi le thé vert et non le noir: "Ce thé quand il est vert répondra mieux à la proscription islamique du fermenté."
Le verre utilisé servait auparavant au vin "liqueur illicite, celle qui transporte le corps dans les vaporeuses situations d'un paradis terrestre." Extraordinaire transformation du contenu de ce verre, si poétiquement décrite: " Une eau brave, préparée par un brave homme et que l'on ne boit que pour sa douceur." Comme en Chine, le thé fut d'abord l'apanage de la cour, puis petit à petit se répandait dans toutes les couches de la population.  Vers la fin du XIXe siècle, le Maroc connut "une grave crise de subsistance à cause de la restriction des importations de denrées alimentaires sauf le thé" à tel point qu'une expression l'illustre bien: "Le pauvre vit de pain et de thé"
J'ai relevé parmi les réclames combien le thé est associé au bonheur
ou à la chance.
 Une publicité d'Air France de 1950 montre quelle place occupait le thé dans la représentation de ce pays.  Il y aurait encore beaucoup à dire à ce sujet, je vous renvoie à cette lecture passionnante d'un livre très bien écrit et magnifiquement illustré. Je préfère l'évoquer par petites touches, associant photo et texte court comme une invitation à découvrir le reste.  "Au Maroc, on s'assoit pour prendre le thé, on s'enfonce dans des divans bas. Cela veut dire que l'on n'est pas prêt de se relever. Plaisir et volupté. Le rythme est lié au thé. Et pour le préparer, il faut du temps. C'est une rupture (...)".
Ou encore: "L’heure du thé est celle des poètes mais aussi celle des chuchotements et des confidences : tout devient harmonie et douceur de vivre loin des rumeurs de la ville et du temps qui passe".
Et je ne vous parle pas de toutes ces petites gâteries qui accompagnent ces moments hors du temps... Et encore ici, on n'en voit que très peu!
 Dans ces pays d’Afrique du Nord, le thé est excessivement sucré à l’aide de ces pains de sucre, fabriqués à partir de la canne à sucre, apparurent dès le XIIe au Maroc. Je me souviens avoir bu le thé le plus sucré et cependant encore très fort en plein désert du Sahara quelque part entre El Oued et Hassi Messaoud. Nous avons été invités par une famille d’abord pour un thé et puis pour partager leur repas, à la lumière blafarde et très tamisée d’une lampe à pétrole. Servi dans une grande bassine, nos hôtes, uniquement des hommes et 2 adolescents. Eux mangeaient avec leurs doigts, nous avons eu droit à une cuillère. C’est là que là que j’ai mangé pour la première fois des protéines très spéciales, croquantes et sans beaucoup de goût, c’était une sauterelle. C’était en 1969, au milieu de nulle part, je garde encore aujourd’hui ces émotions fortes ressenties alors, ces gens n’avaient rien et ils nous ont tout donné… Je ne savais pas en abordant ce livre que tout cela me reviendrait de manière à la fois douce et violente.
 Leur hospitalité est un véritable art de vivre et la cérémonie du thé en est une belle illustration. J’en parlerai une prochaine fois en abordant les ustensiles si particuliers et si représentatifs. Il me faudra aussi revenir sur le dernier chapitre intitulé Métaphores du thé, consacré aux chants, à la poésie et à l’expression artistique en lien avec le thé
Je voudrais terminer par une autre illustration qui montre la place de cette boisson mythique dans la vie laborieuse de ces hommes, elle s’intitule "Le "thé du chantier" véritable institution dans le secteur du bâtiment et des travaux publics au Maroc ! Tout chantier au Maroc démarre par un sacrifice de coq ou de mouton, dans le but de conjurer le mauvais sort, ainsi qu’une mise à disposition d’une bonne quantité de thé destiné à "booster" les ouvriers durant leur labeur".
Commencé hier, en buvant ce fameux thé de là-bas, « achevé » aujourd’hui en sirotant ce "simple" Sencha de Magie du thé, j’y ai pris un immense plaisir mêlé de beaucoup d’émotions. Souvenirs personnels bien sûr mais aussi cette manière qu’a l’auteure de nous faire pénétrer tout en douceur et en finesse dans le monde du thé en Afrique du nord et ici particulièrement au Maroc : (…) Dans un monde où la hâte fébrile dévore tout, elle est une manière de vivre le temps, de l’accueillir, l’apaiser, offrir une oasis pour rêver, méditer. Et comme dit le poète :
Je vous salue par la théière
Vous voir de mes yeux j’en suis fier
Sinon je n’ai plus qu’à prendre la mer".
J’espère simplement vous avoir donné l’envie de découvrir cela à travers ce livre magnifique, ceci n’en sont que les prémices, il y a encore tant de choses à en dire…
Ce matin, avant de reprendre ce "travail", j’ai infusé un Tamakawa Yokosawa de Yasu Kakegawa, ce thé qui m’a fait découvrir ENFIN l’umami (http://la-theiere-nomade.blogspot.be/2012/07/le-lendemain-de-la-veille-fin-de-ce.html ).
Pour le savourer, j’ai inauguré un des cadeaux de Guillaume, mon très généreux donateur. J’en aime l’aspect irrégulier et craquelé.
Ainsi que la matière brute du fond de ce "bol" qui doit certainement porter un nom (Cathy, au secours…). Et j’ai retrouvé cette fameuse saveur. Encore merci à Yasu pour son accueil, son enseignement et cette belle découverte. Et merci à toi, Mohamed, sans ton coup de fil, je ne me serais pas replongée dans ce livre qui m'a fait revivre des moments si forts.

6 commentaires:

Fab a dit…

coucou,
Super ton billet sur les thés orientaux, j'ai beaucoup de retard dans ma lecture on va on vient entre Alsace et Franche-Comté
Je t'embrasse Fabienne

BrigitteD a dit…

Bonsoir Francine

Je ne trouve malheureusement plus ce livre même en librairies d'occasion , c'est bien dommage .Alors un grand merci pour ce petit aperçu , bonne soirée Brigitte

Francine a dit…

@ fab: merci, j'y ai pris beaucoup de plaisir.Et tes va-et-vient, c'est pour fuir la chaleur de ta belle ville?... Biz et à très vite.

@ Brigitte: c'est vrai qu'il est superbe, si tu le souhaites, je peux mettre un ami sur le coup, il passe sa vie chez les bouquinistes. Bonne soirée, biz

cathy a dit…

Bonjour Francine

Merci pour ce superbe billet! Je ne sais pas si je peux venir à ton secour ;) mais je pense que celà doit être " Kôdaiuchi" ( kôdai= pied/petit support= étagère; vers l'intérieur)avec les traduction ce n'est pas évident !! Puis le dessin que l'on peut voir pourrai s'appeller " Kajiri" pour sa forme de spirale/ coquillage
Comme tu as pu le constater toi même le pied est tout aussi important puisque il indique aussi l'habilité du potier, son expérience, son sens artistique et sa sensibilité.
Sur ce je vais me faire un Gyokuro que j'ai ramené de " Magie du Thé" ....
Bises

Francine a dit…

@ Cathy: merci pour ton mot et les infos! Comment as-tu trouvé Magie du Thé? Je sais que Fanou n'était pas là la semaine dernière, elle a pris un bain de jouvence avec les Twins...

Cathy a dit…

Bonjour Francine

Je connaissais l'endroit par biais de tes billets et photos mais c'était super, la jeune dame nous a très bien acceuillit et malgré la chaleur nous avons bu de très bon thé !!!!( ce que je savais déjà :)))) Tu es resplendissante sur les photos avec ses Twins !